Visages de la Recherche | Emilie Wiedeman-Fodé, doctorante en mécano-biologie

À l’occasion de la Semaine Européenne pour l’Emploi des Personnes Handicapées (SEEPH) 2025, le CNRS met en lumière des parcours qui secouent les idées reçues et qui montrent comment la recherche avance aussi grâce à la diversité de ses talents. Emilie Wiedeman-Fodé, doctorante en mécano-biologie, partage ici son histoire. Un parcours marqué par une surdité sévère, qui témoigne d’une détermination et d’une passion scientifique sans failles.

Peux-tu nous raconter ton parcours


Depuis toute petite, j'ai toujours été attirée par la science, mais mon parcours a été un peu particulier. Je ne suis pas née sourde : suite à l’opération d’une cardiopathie grave, non détectée à la naissance, où j’ai eu des antibiotiques à forte dose, cela a entraîné une perte auditive importante.
Le diagnostic réel n’a été posé qu’à mes cinq ans, avec une perte auditive d’environ 87 %. Avant cela, je parlais, mais de manière parfois difficilement compréhensible, et c'est ça qui a donné l'alerte à mon entourage. 

L’école classique a donc vite été compliquée. Après une première scolarisation difficile, car inadaptée, j’ai fait une partie importante de ma scolarité à domicile avec le CNED, ce qui m’a permis de reprendre confiance en moi et d’apprendre dans de bonnes conditions. J’ai réintégré au CM2 et en sixième, mais la fatigue, le manque d’adaptations et l’oubli récurrent de ma surdité de la part des enseignants ont rendu le quotidien très éprouvant. Je suis donc revenue à l’enseignement à la maison jusqu’à la troisième. 

Pour la suite, j’ai intégré un lycée technologique : un vrai déclic. J’y ai découvert l’ingénierie, les machines, la mécanique… J’envisageais alors une carrière en entreprise, pas du tout dans la recherche.
C’est lors d’un projet estival à l’ENSEM, suite à un stage réorienté pendant le confinement, que j’ai découvert la mécanobiologie, ce croisement inattendu entre mécanique et vivant. J’ai adoré.

J’ai d’abord intégré Polytech Nancy, puis ai rejoint l’ENSEM et avec mes superviseurs, dont Cédric Laurent, nous avons monté un projet de thèse en un mois, sur un contrat doctoral CNRS qui vise à faciliter l'insertion des personnes en situation de handicap.

Quel est précisément ton sujet de thèse ?


Ma thèse explore la mécanobiologie via un dispositif original : la lévitation acoustique.
L’objectif est de faire léviter des gouttes d'hydrogel contenant des cellules grâce à des ondes acoustiques stationnaires. En variant la tension, on comprime ces gouttes et on étudie leur déformation. Cela permet de mieux comprendre le comportement mécanique de matériaux biologiques comme des hydrogels, notamment à base de collagène.

Nous avons aussi mené des essais sur la viabilité cellulaire, et les résultats sont plutôt encourageants : les cellules résistent, adhèrent et survivent en culture après avoir été stimulées mécaniquement pendant quelques minutes en lévitation. Ce sont des observations nouvelles, qui intéressent plusieurs laboratoires partenaires.

Les débuts ont été exigeants : je n’avais presque plus fait de biologie depuis le collège, un grand travail de bibliographie a donc été nécessaire. La mise en place de la manipulation n’a pu se faire qu’à la fin de la première année et des contraintes budgétaires ont demandé une certaine réflexion sur la manière de travailler avec d’autres laboratoires. Mais cela m’a permis d’apprendre énormément, en autonomie comme en technique, et j’ai été très bien entourée par mes encadrants et les équipes.

Comment vis-tu ton quotidien au laboratoire avec ce handicap ? 


C’est un équilibre subtil. La surdité n’est ni un frein absolu ni un moteur, mais elle demande une énergie énorme. Tout demande plus d’efforts : suivre une réunion, comprendre un échange rapide, distinguer des mots proches, rester concentrée dans le bruit du laboratoire.
Je ne peux pas prendre de notes tout en écoutant, donc je fonctionne beaucoup à partir de ce que j’ai retenu et compris.

Les appareils auditifs ont énormément évolué : Bluetooth, meilleure restitution, nouvelles fréquences captées… J’ai même découvert des sons que je n’avais jamais entendus, comme les oiseaux ou certains bruits domestiques. Mais cela reste fatigant, avec des migraines, des périodes d’adaptation longues et une sensibilité forte au bruit ambiant.

Au quotidien, ce qui est le plus difficile, c’est que les gens oublient souvent que je suis sourde. Je dois régulièrement rappeler qu’il faut me parler de face, distinctement. Ce n’est jamais de la mauvaise volonté, mais c’est une vigilance constante.

Heureusement, de plus en plus, les conférences et colloques auxquels j'assiste mettent en place des moyens de rendre le contenu accessible via une traduction en langue des signes ou avec des systèmes de transcription en direct... 

Quels dispositifs d’accompagnement ont été mis en place pour faciliter ton travail ?

J’ai été soutenue par plusieurs structures, notamment par le CNRS qui m'a permis de mettre en place plusieurs solutions pour faciliter mon quotidien au labo. 

On a mis en place un temps partiel thérapeutique, qui m’aide énormément à gérer la fatigue liée à la concentration permanente. Il y a également des dispositifs techniques comme un fauteuil adapté et des systèmes d’alarme visuels, adaptés à mon handicap et qui jouent grandement dans ma sécurité dans mon bureau et en salle de manipulations. 

Et puis il y a aussi Pipa, ma chienne d'aide, mon repère dans la vie de tous les jours qui a pu bénéficier d'une formation qui lui permet de m'aider en milieu professionnel. Elle a sa place avec moi dans mon bureau et m'apporte encore plus de sérénité. 

Mais l’accompagnement humain est tout aussi important : les encadrants, les collègues, les équipes administratives et techniques. Le dialogue, la compréhension et les ajustements au quotidien sont parfois aussi précieux que les outils matériels.

Quel message aimerais-tu transmettre à une jeune personne en situation de handicap qui hésite à se lancer dans une thèse ?


Je lui dirais d’abord de foncer. Si elle aime vraiment ce qu’elle fait, si la science la passionne, alors son handicap ne doit pas être une raison de ne pas se lancer. On a tendance à croire qu’être en situation de handicap complique tout — et oui, parfois c’est vrai — mais la vérité, c’est que même les personnes entendantes rencontrent des difficultés dans leur quotidien au travail. Personne n’a un parcours parfaitement fluide. Alors autant suivre ce qui nous fait vibrer.

Je lui dirais aussi de ne jamais hésiter à parler de ce qui ne va pas. Ça a été un vrai apprentissage pour moi : accepter de dire quand une situation devient inconfortable, quand la fatigue s’accumule, quand la communication ne passe plus. C'est loin d'être mauvais, ce n’est pas non plus « déranger » — c’est permettre à l’entourage de comprendre ce que représente la surdité au quotidien, et donc de mettre en place des solutions concrètes. Beaucoup de gens veulent aider, mais ne savent pas comment tant qu’on ne leur explique pas.

Il existe au CNRS des personnes ressources, des dispositifs, des accompagnements. On peut ajuster son rythme, adapter le matériel, demander de meilleures conditions de réunion… On n’a pas à surcompenser pour « faire comme si ». Le handicap fait partie de nous, et c’est normal qu’il demande des aménagements.

Et enfin : ne pas accepter d’être limitée par le regard des autres. La recherche a besoin de profils variés, de parcours atypiques, de sensibilités différentes. On place encore trop souvent la communication orale comme unique moyen d’exister dans un laboratoire, alors que d’autres formes de communication, d’autres façons de travailler, ont tout autant de valeur. J’aimerais vraiment que les jeunes qui se sentent « hors norme » sachent qu’elles ont toute leur place ici.

En résumé : si ça te passionne, vas-y. Aies-confiance en toi et aies confiance à l'environnement qui t'entoure !