Observation d'un soliton de cavité par pompage paramétrique dans un micro-résonateur de type Kerr

Résultats scientifiques Physique

Des chercheurs du National Institute of Standards and Technology (NIST), de l'Université d'Auckland, de l'Université libre de Bruxelles et de l'équipe SAFIR du Laboratoire Interdisciplinaire Carnot de Bourgogne ont franchi une nouvelle étape dans la génération de peignes de fréquences, révolutionnant la mesure du temps, la spectroscopie et bien plus encore. Leur méthode, basée sur un dispositif sur puce optique en anneau, utilise deux lasers de pompe pour créer des peignes de fréquences aux propriétés inédites, ouvrant la voie à des avancées scientifiques majeures et à des applications innovantes, notamment dans la cryptographie quantique et la résolution de problèmes statistiques.

Un peigne de fréquences sur puce optique est une source de lumière cohérente capable d’émettre un large spectre formé de composantes fréquentielles discrètes et régulièrement espacées. Ce peigne de fréquences agit comme une règle pour la lumière. Tout comme les repères uniformément espacés le long d'une règle centimétrique mesurent la longueur des objets, les pics de fréquence uniformément espacés sur ce peigne optique mesurent les oscillations des ondes lumineuses. Ils sont à l’origine d’avancées scientifiques majeures dans de nombreux domaines tels que la mesure du temps/fréquence, la détection de planètes en dehors de notre système solaire, la spectroscopie ou les télécommunications optiques ultra-rapides.

Dans leurs travaux publiés le 14 mars dans la célèbre revue Nature Photonics, des chercheurs du National Institute of Standards and Technology (NIST) en collaboration avec l’Université d'Auckland (UoA), l'Université libre de Bruxelles (ULB) et l'équipe SAFIR du Laboratoire Interdisciplinaire Carnot de Bourgogne (ICB) viennent de démontrer une nouvelle méthode de génération de peignes de fréquences qui promet d'améliorer leur précision et d'étendre leur potentiel de mesures sur des plages de fréquences auparavant inaccessibles.

Ce nouveau dispositif, fabriqué sur une puce optique en anneau sur base silicium de 46 µm de diamètre, fonctionne d'une manière fondamentalement différente des peignes de fréquences démontrés précédemment.

En effet, les chercheurs utilisent généralement trois éléments pour générer un peigne de fréquences : un laser de pompe, un micro-résonateur optique en forme d'anneau, et un guide d'onde miniature qui transmet la lumière entre les deux. La lumière laser est injectée dans le guide d'onde et pénètre dans le résonateur puis circule autour de l'anneau. En ajustant soigneusement la fréquence du laser, la lumière circulant dans l'anneau peut alors se transformer en soliton une impulsion lumineuse solitaire qui conserve sa forme en se propageant. A chaque tour de cavité, une portion de cette impulsion solitonique quitte l'anneau et ressort par le guide, formant ainsi un train d'impulsions équi-espacées dans le temps. Ces pics de lumière correspondent alors à un seul ensemble de fréquences uniformément espacées et forment les repères de la règle, ou "dents", du peigne.

Or, cette méthode de génération de peignes de fréquences, bien qu'efficace, ne permet de générer qu'une seule gamme de fréquences centrée uniquement sur la fréquence du laser de pompe. Pour surmonter cette limitation, cette équipe internationale de chercheurs ont prédit théoriquement puis démontré expérimentalement un nouveau processus pour produire ces peignes. Au lieu d'utiliser un seul laser, la nouvelle méthode consiste à utiliser deux lasers de pompe, chacun émettant de la lumière à une fréquence bien distincte. L'interaction complexe entre ces deux pompes produit alors un soliton dont la fréquence centrale se situe exactement entre les deux couleurs de laser.

Cette méthode permet alors aux scientifiques de générer des peignes de fréquences avec des propriétés nouvelles dans une plage de fréquences qui n'est plus limitée par les lasers de pompe. En générant des peignes qui couvrent un ensemble différent de fréquences que le laser de pompe, ce dispositif pourrait, par exemple, permettre aux scientifiques d'étudier la composition de nouveaux composés chimiques et biologiques. Au-delà de cet avantage pratique, la physique qui régit ce nouveau type de peigne, appelé micro-comb paramétrique, pourrait conduire à d'autres avancées importantes. Un exemple est une amélioration potentielle du bruit associé aux dents individuelles du peigne. En effet, dans un peigne généré par un seul laser, les dents deviennent plus larges à mesure qu'elles s'éloignent du centre du peigne, ce qui n'est pas souhaitable car la précision de mesure décroit avec la largeur des dents. Or, dans ce nouveau système, les deux lasers de pompe façonnent chaque dent du peigne et devrait donc produire un ensemble de dents toutes également étroites, améliorant la précision des mesures.

Enfin, ce système à double pompage laser offre un autre avantage potentiel : de par ses propriétés quantiques, il est capable de générer de manière complétement aléatoire des solitons qui se présentent sous deux solutions miroirs, "dites" soit de signe positif soit de signe négatif. Cette propriété intrinsèque du dispositif pourrait alors servir de générateur idéal de nombres aléatoires, ce qui joue un rôle majeur dans la génération de clés cryptographiques sécurisés et dans la résolution de certains problèmes statistiques et/ou quantiques qui seraient impossibles à résoudre avec un ordinateur classique.

En haut de l’image : Dans ce nouveau dispositif, deux lasers de pompe façonnent chaque dent, produisant un peigne de fréquences qui pourrait théoriquement être plus précis qu'un peigne généré via un seul laser. En partie basse de l’image : L'interaction entre les deux lasers produit de manière aléatoire des solitons dans deux états distincts, soit positif, soit négatif, ce qui peut être comparé à un lancer de pièce de monnaie, pile ou face. © S. Kelley/NIST